« Sont je » ? Quand l’IA s’invite dans les rêves

Cabinet de Psychologie Brialy

Extrait Catalogue Exposition : »Circular ruins » Aurèce Vettier, Editions Darmo

Les rêves, tour à tour, jubilations, bouillonnements, réminiscences, voluptés, inepties, afflictions, perplexités, émerveillements, prémonitions, exutoires, parts d’ombre, fantasmes, stupeurs, confusions, consolations, terreurs, extravagances, violences, fiertés, douceurs, nous ont de tous temps interrogés et fascinés.

Éclectiques ont été les courants, et le sont encore, cherchant à les juguler ou les interpréter en leur attribuant des significations et fonctions. C’est précisément ce qui confère un caractère passionnant à ces opportunités exploratoires. Celles que nous mettons au service de nos patients, dans leurs démarches d’accompagnement et de mieux-être, quand leurs rêves s’invitent dans l’espace thérapeutique.

Selon les différentes lectures des hiéroglyphes, les prêtres Égyptiens auraient, peut-être, établi une « clé des songes ». Décryptant les rêves prémonitoires, ils les traduisaient en présages incontestables.

Pour Aristote, les rêves « représentations d’objets dans l’eau » émergeaient grâce aux mouvements des organes ayant mémorisé des sensations et émotions. Quant aux caractères divinatoire, religieux ou populaire, Aristote demeurait prudent. Si tant est qu’ils aient eu un sens, interpréter les rêves, avec quelque distance et en se gardant d’universaliser, pouvait aussi s’entendre.

Hippocrate quant à lui a produit « Le traité d’hygiène d’Hippocrate ou l’art de prévoir les maladies du corps humain par l’état du sommeil ». S’adossant à la théorie des 4 humeurs, éléments vitaux du corps, dont l’équilibre garantissait la bonne santé, le sommeil et les rêves ainsi explorés donnaient une « cartographie » de l’individu.

Au Moyen-âge, les songes devaient être absolument tus. Les évoquer pouvait être périlleux tant ils étaient synonymes de superstition et attribués aux forces du Mal. Les rêveurs bavards et imprudents considérés comme possédés, étaient la plupart du temps destinés au brasier purificateur du bûcher.

Durant la Renaissance, période d’humanisme et de nouveaux courants en littérature, médecine, philosophie et théologie, le rêve s’entendait comme un lien privilégié avec l’au-delà, une source d’étude et d’inspiration. Les penseurs et artistes s’en sont emparés. Cependant, une certaine prudence prévalait toujours ; seuls les Rois pouvaient communiquer avec Dieu. Dans ces années où l’on chassait toujours les sorcières, les rêves du commun des mortels s’y voyaient parfois associés.

Durant des siècles, avec des nuances et critères divers, quiconque interprétait un rêve ou un « mauvais rêve », prenait des risques. Le Code Napoléon punissait d’une amende « les gens qui font métier de deviner et pronostiquer ou d’expliquer les songes ».

A la toute fin du XIXème siècle, Sigmund Freud, théoricien emblématique de la psychanalyse, a établi que le rêve était généré par des processus psychiques inconscients. Partant du postulat que le « rêve est un rébus », le “décryptage” des éléments irrationnels avec le patient en éclairait la cohérence et l’intention. Pour ne citer qu’un exemple, dans son rêve, « l’injection faite à Irma », Freud identifiait une multitude d’éléments.

Tels que : son lien avec la famille de sa patiente et les attentes induites. Son inquiétude d’avoir peut-être omis un symptôme organique dans le bilan clinique. Le souvenir d’une patiente décédée. Irma arborant le visage d’une autre de ses patientes. Son désir de justification face à la remarque d’un confrère qu’il estime dubitatif. Sa responsabilité de thérapeute face au refus d’un traitement de sa patiente. Le récit d’un autre confrère d’une injection.

La disparité des composantes et ramifications, qui se sont « convoquées » dans ce rêve, rendaient passionnants les axes de réflexion, à situer dans le développement de la psychanalyse de cette époque.

Dans son travail sur l’interprétation des rêves, quelques dizaines d’années plus tard, Carl Gustav Jung affirmait que le rêve animé par des archétypes était un acte naturel dénué de visée éthique. Le rêve était donc l’un des axes majeurs d’analyse de cette traversée de l’intime, où il a élargi considérablement le champ d’exploration, prenant alors des distances avec la vision de Freud qui reliait majoritairement l’émergence et l’interprétation des rêves à la libido.

L’école de Palo Alto, fondée par Grégory Bateson, en Californie, à partir des années 1960, a enrichi les champs d’investigation. S’entourant de nombreux spécialistes en communication, en hypnose avec Milton Erickson entre autres, les recherches se sont orientées vers la psychologie et la psychosociologie, en passant par la communication chez les schizophrènes.

En contrepied de la psychanalyse, le groupe a proposé une approche systémique, énonçant ainsi pour la première fois les principes de la thérapie familiale et de la thérapie brève. Le patient devenait un individu interagissant avec différentes composantes et groupes sociaux, et non plus une personne “isolée” avec ses symptômes. Ce qui a eu une incidence sur l’appréhension et la compréhension des rêves.

Aux cours des années 1970, Georges Romey, ingénieur et psychothérapeute, en son temps élève de Robert Desoille, s’est démarqué. Dans les années folles, Desoille a élaboré « le rêve éveillé dirigé ». Le thérapeute choisissait les thèmes et intervenait beaucoup durant le rêve diurne du patient favorisé par un déclencheur sensoriel.

Romey, quant à lui, a développé le concept du « rêve éveillé libre ». Relaxé, le patient rêvait « en live », avec des images mentales et scénariis spontanés. Hypnagogiques, ils émergent dans cet état de conscience relâchée, juste avant l’endormissement esquivé. Au terme de cet exercice, le patient explorait ses ressentis avec le thérapeute qui en repérait les « révélateurs », toujours en lien avec la problématique de son patient. Ils évoluaient alors ensemble vers le « déverrouillage » des influx nerveux par la substitution d’images bénéfiques.

En 1976, Bruno Bettelheim, publiait « Psychanalyse des contes de fées », ouvrage capital mettant en lumière leur fonction d’apprentissage et leur rôle thérapeutique. Les histoires de contes de fées sont souvent effrayantes, voire dramatiques. Loin de traumatiser leurs jeunes lecteurs, ces contes les initient aux complexités de la vie et leur enseignent les codes sociaux et moraux. Les rêves des enfants peuplés de ces personnages et péripéties sont des éléments utilisés, largement, par les thérapeutes.

Outre l’usage de l’intelligence artificielle (IA) et des algorithmes dans des développements commerciaux, on peut considérer qu’ils font une incursion, remarquée et remarquable, dans le domaine du « rêve éveillé » et participent à son évolution.

L’équipe du Max Jair Ortiz Catalan, PhD, professeur de bionique au Département de génie électrique à l’Université de technologie Chalmers à Göteborg, a mené une expérience inédite sur la gestion de la douleur du membre fantôme. L’étude concernait 14 personnes amputées d’un bras depuis 10 ans et dont les douleurs persistaient en dépit de traitements médicamenteux.

Les influx nerveux du moignon étaient transmis par des électrodes à un ordinateur qui affichait sur un écran face aux patients leur bras “retrouvé”. Les “projections mentales” induites ont permis de générer des « mouvements » du membre fantôme via les électrodes ; ouvrir la main, saisir un objet.

Durant cette expérience, les patients ont noté une diminution de la perception de la douleur. Cette méthode, sommairement présentée ici, est une technique extrêmement complexe détaillée et en open source selon le souhait du professeur Max Jair Ortiz Catalan, sur BioPatRec.

Aujourd’hui, la multitude des technologies ouvre des champs d’applications infinis.

aurèce vettier les explore et nous propose une représentation jamais expérimentée des rêves.

Par écrit et à notre rythme, nous confions à l’IA nos récits oniriques.

Nous pouvons procéder uniquement par mots distincts extraits de notre “carnet de rêves” complété spontanément et sans cohérence au moment précis du réveil,

Nous pouvons aussi faire appel à nos remémorations de “bonne foi”. Celles où notre mémoire conjugue les images hypnagogiques lors de l’endormissement aux images hypnopompiques au réveil, toutes deux désordonnées même si elles peuvent sembler réelles, séparément.

Notre cerveau va naturellement chercher à leur donner un sens pour les “raccrocher” au scénario de notre rêve, seul moment “construit”. Le récit de nos rêves est donc “agrémenté” de pensées, sensations et impressions annexes de ce réflexe.

L’IA traduit notre narration et nous livre des illustrations, constructions, formes et couleurs, nous offrant de possibles “transe-formations de notre imaginaire ». Générées par nos récits spontanés ou construits, ou successifs, la sérendipité est au rendez-vous de ces « transpositions » suggérées. Cette innovation pourrait être une voie d’exploration additionnelle de nos “sont je”.

En tant que thérapeute, je propose dans ce texte quelques directions et éclairages. Il en existe d’autres, assurément.

Cette méthode va interpeller les scientifiques, les sociologues, les chercheurs, les psychologues, les psychiatres, les artistes -pour ne citer que ces quelques professions.

Les rêves forment un champ inépuisable et fécond, à explorer encore, toujours, avec joie, passionnément, ouverture, libre-arbitre et appétence.

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